Océan Indien : pourquoi la France investit tant dans cette vaste étendue maritime ?

ASIE

Thomas Dos Remedios

6/18/20254 min temps de lecture

Au cœur de l’océan Indien, un espace immense où transitent chaque année près de 20 000 navires, la France maintient une présence stratégique qui dépasse largement la simple gestion de ses territoires ultramarins. À travers ses îles comme La Réunion ou Mayotte, la puissance française déploie une politique maritime complète, mêlant souveraineté, sécurité, développement économique et protection environnementale. Dans un contexte géopolitique en pleine évolution, cette région constitue un enjeu majeur pour la France.

UNE SOUVERAINETÉ MARITIME SANS ÉQUIVALENT DANS L'OCÉAN INDIEN

La France dispose dans l’océan Indien de l’une des plus vastes zones économiques exclusives au monde, couvrant environ 5,6 millions de kilomètres carrés. Cet espace maritime immense, qui s’étend autour de La Réunion, Mayotte, des îles Éparses et des Terres australes et antarctiques françaises, est une véritable richesse stratégique et économique. Les enjeux de souveraineté sont au cœur des préoccupations françaises. Certaines zones, notamment les îles Éparses, font l’objet de revendications de pays voisins comme Madagascar, qui conteste la légitimité française sur plusieurs îles. Par ailleurs, Maurice revendique l’île Tromelin. Ces différends territoriaux rappellent que la souveraineté n’est jamais acquise définitivement et doit être activement défendue. Pour la France, il s’agit de préserver ses droits en mer, qui garantissent l’exploitation exclusive de ressources naturelles telles que la pêche, les hydrocarbures potentiels ou encore les ressources minérales du plateau continental.

Sur place, la France traduit cette souveraineté par une présence constante et opérationnelle. Le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Sud Océan Indien, basé à La Réunion, est un exemple concret de cette capacité d’intervention. Grâce à des radars, satellites et communications maritimes, le CROSS surveille en permanence ces vastes étendues, intervenant pour prévenir accidents, collisions ou pollutions, et assurant un lien vital avec les navires en difficulté. Ce centre est en alerte 24h/24, incarnant ainsi la vigilance française sur cet espace maritime. Cette surveillance intensive est indispensable dans une région où le trafic commercial est dense et en forte croissance. Avec l’augmentation des flux contournant le canal de Suez via le cap de Bonne-Espérance – conséquence directe des tensions au Moyen-Orient –, la pression sur ces eaux s’intensifie, rendant la gestion française d’autant plus cruciale.

UNE FORCE MILITAIRE ACTIVE POUR GARANTIR LA SÉCURITÉ RÉGIONALE

La France n’a pas seulement une présence administrative dans l’océan Indien, elle y déploie également une force militaire robuste, à travers les Forces armées de la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI). Près de 1 900 militaires, répartis principalement entre La Réunion et Mayotte, assurent un dispositif complet de surveillance, de dissuasion et d’intervention. Cette force inclut des navires patrouilleurs, des frégates, des avions de surveillance maritime, et de plus en plus de drones, qui assurent une couverture étendue et efficace. Leur rôle est crucial face à plusieurs menaces concrètes : la piraterie au large de la Corne de l’Afrique, les trafics d’armes et de drogues, la pêche illégale qui déstabilise les économies locales, ou encore la montée des tensions géopolitiques entre puissances régionales.

Depuis les attaques menées par les Houthis dans la zone du Golfe d’Aden, le trafic maritime mondial s’est partiellement déplacé, ce qui a provoqué une hausse de 20 à 30 % du passage de navires dans l’océan Indien. Cette évolution exige une vigilance accrue, ainsi qu’une capacité opérationnelle renforcée. La France investit donc massivement pour moderniser ses équipements, garantir la rapidité d’intervention, et coopérer étroitement avec les pays voisins afin de sécuriser ces routes vitales. Ce dispositif militaire ne vise pas seulement à défendre les intérêts français, mais contribue aussi à la stabilité régionale, à la protection des populations insulaires et au bon fonctionnement du commerce maritime international.

UN PATRIMOINE NATUREL ET UNE ÉCONOMIE BLEUE À PRÉSERVER

Au-delà des questions de souveraineté et de sécurité, l’océan Indien représente pour la France un patrimoine naturel exceptionnel, mais fragile. Les eaux françaises de cette région abritent une biodiversité marine parmi les plus riches au monde, avec des récifs coralliens, des espèces endémiques, et des écosystèmes complexes. La France est ainsi dépositaire d’environ 90 % de la biodiversité marine nationale grâce à ses zones ultramarines. Les Terres australes françaises, notamment, sont une zone protégée d’une valeur scientifique et environnementale inestimable, où la pêche est strictement encadrée et où la recherche sur les effets du changement climatique est intensive. La France y mène des programmes pour étudier la montée des températures, la fonte des glaces et l’évolution des habitats marins.

Dans le même temps, la pêche artisanale et industrielle représente un enjeu économique important pour les populations locales, notamment à Mayotte et à La Réunion. La gestion durable de ces ressources est donc essentielle pour maintenir l’équilibre entre développement économique, sécurité alimentaire et conservation de l’environnement. Par ailleurs, la France s’investit dans la lutte contre la pollution marine, qu’il s’agisse des déversements accidentels ou de la prolifération des déchets plastiques. Le CROSS Sud Océan Indien joue un rôle majeur dans la détection précoce de ces pollutions, permettant d’identifier les navires responsables et d’engager des procédures judiciaires.

LA COOPÉRATION RÉGIONALE, CLÉ D'UNE GOUVERNANCE PARTAGÉE 

La France ne peut agir seule dans cet espace marqué par la multiplicité des États, des cultures et des intérêts. Pour cette raison, elle s’engage activement dans des dispositifs de coopération régionale, comme l’Indian Ocean Rim Association (IORA), qui rassemble les pays riverains autour d’objectifs communs. Cette collaboration porte notamment sur la sécurité maritime, la lutte contre la pêche illégale, la gestion des ressources naturelles, et la protection de la biodiversité. À Maurice, par exemple, l’ONG Expertise France joue un rôle déterminant en aidant les États membres à renforcer leurs capacités de surveillance et de contrôle, et à développer une économie bleue durable.

Ces partenariats favorisent la création d’un cadre régional stable, où les tensions sont apaisées par le dialogue et les actions concertées. Ils témoignent aussi d’une volonté française de soutenir le développement harmonieux des îles et populations de l’océan Indien, en tenant compte des réalités historiques, culturelles et économiques propres à chaque territoire.

Thomas dos Remedios, pour SPECTIO

Les propos exprimés n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas la position du Think Tank Spectio.