Éolien offshore : les projets français à l’arrêt aux États-Unis

AMÉRIQUES

Thomas dos Remedios

5/24/20255 min temps de lecture

UN SECTEUR ÉOLIEN OFFSHORE ENCORE BALBUTIANT, FRAGILISÉ PAR LE RETOUR DE TRUMP

Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, en janvier 2025, a immédiatement modifié le paysage énergétique du pays. À peine investi, l’ancien président a signé un mémorandum gelant l’octroi des permis d’exploitation et des financements fédéraux pour les projets d’éoliennes en mer. Entré en vigueur dès le 21 janvier, ce décret présidentiel a stoppé net tous les projets encore en phase de développement dans les eaux fédérales américaines. Les arguments avancés par l’administration Trump – protection de la biodiversité marine et soutien à l’industrie de la pêche – sont en ligne avec le discours populiste et conservateur de la campagne. Le président qualifie régulièrement les éoliennes de « monstres visuels », allant jusqu’à les accuser, sans preuves scientifiques, d’être responsables de la mort des baleines et d’endommager les paysages marins. En réalité, cette décision s’inscrit dans une politique plus large de soutien explicite aux énergies fossiles, piliers traditionnels de l’économie américaine, et à l’indépendance énergétique par le pétrole et le gaz.

Ce tournant survient alors que l’éolien offshore américain commençait tout juste à se structurer. Sous l’impulsion de l’administration Biden, le pays s’était fixé un objectif ambitieux de 30 GW de capacité installée d’ici 2030, contre seulement 0,04 GW en 2023, soit à peine 1 % du parc mondial. L’État fédéral avait déjà attribué plusieurs zones maritimes au large de la côte Est, dont certaines près du Massachusetts, de New York et du New Jersey, avec l’intention de créer une nouvelle filière industrielle. Mais ce virage brutal remet en cause non seulement la construction physique des parcs, mais aussi les mécanismes financiers et administratifs qui les rendent possibles. Les projets situés dans les eaux fédérales – qui s’étendent à partir de trois miles nautiques (environ 5,5 km) des côtes – dépendent d’autorisations complexes délivrées par plusieurs agences : le Bureau of Ocean Energy Management (BOEM), l’Agence de protection de l’environnement (EPA), et parfois même le Département de la Défense, en cas de zones militaires sensibles.

DES ENTREPRISES FRANÇAISES LOURDEMENT IMPACTÉES : PERTES FINANCIÈRES ET RETRAIT STRATÉGIQUE

La décision présidentielle américaine a frappé de plein fouet plusieurs grandes entreprises françaises fortement engagées dans le développement de l’éolien offshore aux États-Unis. Parmi elles, TotalEnergies, EDF et Engie, qui comptaient sur ce marché pour diversifier leurs activités et atteindre leurs objectifs de neutralité carbone à horizon 2050. TotalEnergies, première entreprise à réagir, a annoncé dès novembre 2024 la mise en pause du projet Attentive Energy, un vaste parc prévu au large du New Jersey et de New York, avec une capacité estimée à 3 GW. Le groupe français y détient 56 % des parts, aux côtés du britannique Corio Generation (filiale de Macquarie) et de l’américain Rise Light & Power. Le projet devait fournir de l’électricité à plus de deux millions de foyers, pour une mise en service initialement prévue en 2029. Selon le PDG Patrick Pouyanné, ce gel pourrait durer « au moins le temps du mandat présidentiel », soit jusqu’en 2029, en espérant un retournement politique à la prochaine élection.

EDF Renouvelables, pour sa part, est impliqué dans le projet Atlantic Shores, un parc offshore d’une capacité de 2,8 GW, situé également sur la côte Est et détenu à parts égales avec Shell. Lors de la publication de ses résultats annuels 2024, EDF a dû inscrire une dépréciation de 934 millions d’euros, illustrant les conséquences économiques directes du nouveau contexte politique. Cette perte est d’autant plus lourde qu’elle intervient après l’annulation, début février 2025, d’un appel d’offres du New Jersey, puis le retrait d’un permis fédéral par l’EPA en mars, malgré une autorisation délivrée en octobre 2024 par le BOEM. Engie, enfin, partenaire du portugais EDPR au sein de la coentreprise Ocean Winds, a également été contraint de revoir à la baisse ses projets offshore. Deux étaient prévus sur la côte Atlantique, et un troisième au large de la Californie. Ces projets, pour lesquels l’État français détient encore près de 24 % du capital d’Engie, ont été dépréciés à hauteur de 133 millions d’euros dans le bilan 2024 du groupe. Même son de cloche du côté d’EDPR, qui évoque une « situation de blocage » et une réorientation vers les marchés européens et asiatiques.

UN RECENTRAGE STRATÉGIQUE DES EUROPÉENS SUR DES MARCHÉS PLUS STABLES

Face aux incertitudes réglementaires et politiques américaines, les énergéticiens européens réévaluent leurs priorités. Selon Pierre Tardieu, directeur des affaires publiques de WindEurope, les entreprises vont désormais « se recentrer sur le marché européen », où les politiques de transition énergétique, bien qu’imparfaites, restent plus cohérentes et prévisibles. Le marché européen, en particulier en mer du Nord, continue de représenter le principal moteur du développement éolien mondial. Le Royaume-Uni, malgré le Brexit, reste le leader européen avec plus de 14 GW d’éolien en mer installés, suivi de l’Allemagne (8 GW) et des Pays-Bas (4 GW). De plus, les pays scandinaves (Danemark, Norvège) et le Portugal accélèrent leur développement, parfois via des projets d’éoliennes flottantes, technologie prometteuse pour les zones à fort dénivelé.

En parallèle, l’Asie devient une alternative crédible. La Chine domine déjà le marché mondial avec plus de 30 GW installés fin 2023, en grande partie dans les provinces côtières du Jiangsu et du Guangdong. Le Japon et Taïwan développent eux aussi une politique favorable à l’éolien offshore, notamment en investissant dans les technologies de flottaison et les partenariats public-privé. Ce basculement vers des zones politiquement plus stables pourrait accélérer l’innovation technologique et la baisse des coûts de production.

UNE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE AMÉRICAINE MENACÉE DE PARALYSIE

Le retrait brutal des acteurs européens du marché américain pourrait avoir des conséquences durables sur la transition énergétique aux États-Unis. Alors que les projets solaires et l’éolien terrestre – souvent implantés sur des terrains privés ou régis par les lois des États fédérés – restent relativement épargnés, le secteur offshore, central pour la décarbonation à grande échelle, est aujourd’hui en péril. Le cas du projet Empire Wind, porté par Equinor au large de New York, est emblématique. Composé de 54 turbines, le parc était en phase de construction depuis 2024. Mais en avril 2025, les autorités fédérales ont ordonné l’arrêt du chantier, en prétextant la nécessité d’études complémentaires. Un geste interprété par les investisseurs comme un signal négatif. Le groupe norvégien a d’ailleurs fait savoir qu’il pourrait se retirer du projet s’il ne trouve pas de solution « rapidement ».

Plus généralement, le blocage des projets offshore empêche la constitution d’une filière industrielle américaine dans un secteur en pleine croissance ailleurs. Ports d’assemblage, navires spécialisés, formation de techniciens : tout cet écosystème peine à émerger sans visibilité réglementaire. À terme, les États-Unis pourraient non seulement rater l’objectif de 30 GW offshore d’ici 2030, mais aussi se voir distancés par l’Europe et l’Asie dans la course à la transition énergétique.

Thomas dos Remedios, pour SPECTIO

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