Dans les eaux de Namibie, les diamants marins font surface : à quel prix ?
AFRIQUE
Thomas Bonnamy
7/23/20256 min temps de lecture
Loin des déserts brûlants et des images de mines à ciel ouvert, une autre réalité de l’exploitation des diamants africains émerge au large des côtes namibiennes. Depuis quelques dizaines d’années, les fonds marins du sud de l’Atlantique abritent une industrie singulière : l’extraction de diamants sous-marins. Aujourd’hui, la Namibie est le seul pays au monde à avoir industrialisé cette activité, suite à un partenariat entre l’Etat namibien et des entreprises uniques. Des robots géants, opérant à plus de 100 mètres de profondeur, sondent le fond de l’océan pour en prélever les pierres précieuses tant convoitées. Mais cette réussite technologique et économique soulève aussi des interrogations, notamment écologiques, politiques et éthiques. La Namibie est-elle en train de poser les bases d’une nouvelle industrie florissante, ou de s’engager dans une impasse environnementale ?
UNE INDUSTRIE SOUS-MARINE PIONNIÈRE, ISSUE D’UN GISEMENT CÔTIER EXCEPTIONNEL
Tout commence sur les plages de Namibie, à la frontière sud du désert du Namib. Depuis plus d’un siècle, ces rivages sablonneux regorgent de diamants transportés par le fleuve Orange depuis l’intérieur du continent africain. L’érosion a progressivement entraîné ces gemmes jusqu’à l’océan Atlantique, où les courants les ont déposés sur les fonds marins. Dans les années 1960, des géologues découvrent d’importantes concentrations de diamants non plus sur la côte, mais dans les eaux peu profondes du plateau continental. En 1991, l’État namibien et l’entreprise sud-africaine “De Beers” fondent “Namdeb”, puis “Debmarine”, spécialisée dans l’extraction sous-marine. Aujourd’hui, plus de 70 % des diamants namibiens proviennent de la mer. La zone d’exploitation s’étend sur près de 6 000 km², le long d’un littoral désertique long de 300 kilomètres. Des navires-usines, véritables plateformes flottantes, opèrent jour et nuit à l’aide de systèmes d’aspiration ou de découpe hydraulique. En 2022, le navire “Benguela Gem”, le plus avancé de la flotte, entre en service. Il peut extraire jusqu’à 500 000 carats par an. Ces diamants, considérés comme les plus purs au monde, représentent une ressource stratégique majeure pour la Namibie, deuxième source de revenus après la pêche. Mais leur extraction ne va pas sans conséquences.
UNE GOUVERNANCE PUBLIQUE-PRIVÉE, ENTRE AUTONOMIE ET DÉPENDANCE
L’originalité du modèle namibien repose sur sa gouvernance mixte. “Debmarine Namibia” est détenue à parts égales par le gouvernement namibien et De Beers, lui-même contrôlé majoritairement par le géant anglo-australien Anglo American. L’État dispose ainsi d’un droit de regard sur les opérations et d’un retour direct sur les profits. Cette structure a permis à la Namibie de conserver une souveraineté partielle sur sa ressource, tout en s’appuyant sur le savoir-faire technologique de ses partenaires privés. En 2022, “Debmarine” a versé plus de 2 milliards de dollars namibiens (environ 100 millions d’euros) à l’État, sous forme de dividendes, impôts et royalties. Les opérations sont encadrées par des permis stricts, délivrés par le ministère des Mines et de l’Énergie, et soumises à des évaluations environnementales. Des équipes scientifiques indépendantes suivent régulièrement l’évolution des écosystèmes marins affectés. En théorie, les sites exploités sont ensuite “réhabilités”, c’est-à-dire nivelés et stabilisés. Mais en pratique, les données restent largement contrôlées par l’opérateur lui-même, et les experts alertent sur le manque de transparence des impacts à long terme.
DES IMPACTS ÉCOLOGIQUES MAL CONNUS, MAIS POTENTIELLEMENT MAJEURS
L’extraction de diamants marins modifie profondément le fond de l’océan. Les dragues aspirent le sable sur plusieurs mètres d’épaisseur, détruisant habitats et microfaune. Les sédiments remis en suspension peuvent s’étendre sur des kilomètres, asphyxiant les organismes filtrants. Contrairement à l’exploitation terrestre, ces dégâts sont invisibles pour le grand public, car situés loin des regards. Si les études commanditées par Debmarine concluent généralement à une “recolonisation rapide”, d’autres recherches universitaires sont plus prudentes : elles soulignent la rareté des données sur les espèces endémiques du plateau continental namibien et les incertitudes sur les effets cumulatifs à long terme. À cela s’ajoute une interrogation plus large sur le précédent que crée cette industrie. La Namibie est aujourd’hui un laboratoire grandeur nature pour l’exploitation minière des océans, à une époque où les fonds marins de haute mer attisent les convoitises. Plusieurs pays et entreprises projettent déjà d’extraire des métaux rares dans les abysses, au nom de la transition énergétique. Les partisans du deep sea mining citent souvent Debmarine comme exemple de faisabilité technique. Mais cette comparaison est trompeuse : les eaux namibiennes sont côtières, peu profondes et déjà soumises à des usages industriels. Le saut vers la haute mer, encore plus fragile et méconnue, pose des défis éthiques et écologiques sans commune mesure.
ENTRE SUCCÈS ÉCONOMIQUE ET RISQUES DE DÉPENDANCE STRUCTURELLE
Du point de vue économique, le modèle namibien semble fonctionner. Les recettes générées par les diamants ont contribué au développement d’infrastructures, à la création d’emplois qualifiés (notamment dans la logistique et la robotique marine), et à l’amélioration des indicateurs macroéconomiques. La Namibie affiche l’un des taux de croissance les plus stables du continent, avec une monnaie relativement forte (le dollar namibien est arrimé au rand sud-africain). Pourtant, cette réussite cache une forte dépendance à un seul secteur, dans un pays de seulement 2,6 millions d’habitants. Les risques sont multiples : chute des cours du diamant, tensions dans le partenariat avec De Beers, effets d’épuisement des gisements. À moyen terme, certains experts estiment que les gisements marins actuels pourraient être exploités au maximum d’ici 2040. Le pays devra alors se tourner vers des gisements plus profonds, plus coûteux et plus risqués, ou diversifier son économie. Par ailleurs, la manne diamantifère ne bénéficie pas également à toute la population : les inégalités restent fortes, notamment entre zones urbaines et rurales, et le chômage des jeunes dépasse 30 %.
UN MODÈLE EN SURFACE, UNE COMPLEXITÉ EN PROFONDEUR
L’exemple namibien est souvent présenté comme un modèle d'exploitation minière responsable dans les pays en développement. Son cadre juridique clair, sa gouvernance partagée, ses retombées économiques mesurables et son expertise technique lui valent les éloges de nombreuses institutions. Mais cette exemplarité reste relative. D’une part, parce qu’elle repose sur des conditions spécifiques : une population réduite, un État relativement stable, des institutions publiques compétentes, une pression sociale limitée, et un environnement marin déjà peu exploité. D’autre part, parce que les impacts écologiques et sociaux, bien que mieux suivis qu’ailleurs, restent en partie opaques. Dans d’autres contextes, la transposition serait difficile. En Afrique de l’Ouest, par exemple, où les eaux marines sont déjà surexploitées par la pêche illégale, où les institutions sont fragiles et où la gouvernance extractive souffre de corruption, l’idée même d’une exploitation minière sous-marine apparaît prématurée. À l’inverse, des pays comme la Norvège ou le Japon, technologiquement avancés, étudient leurs propres projets, mais restent freinés par les critiques de la société civile et des chercheurs.
UN AVERTISSEMENT POUR L’AVENIR DES OCÉANS
Finalement, l’exploitation des diamants sous-marins en Namibie illustre à la fois les promesses et les périls d’une nouvelle frontière extractive. Elle montre que des technologies complexes peuvent fonctionner, que des partenariats public-privé peuvent être équilibrés, et que les ressources marines peuvent générer des revenus significatifs. Mais elle rappelle aussi que toute extraction, même encadrée, modifie profondément les écosystèmes, et que les données sur l’impact réel de ces opérations restent fragmentaires. À l’heure où les négociations internationales sur la protection de la haute mer avancent, le cas namibien doit être étudié avec rigueur et prudence. Il incarne moins un modèle universel qu’un signal d’alarme : celui d’un monde où la pression sur les océans s’intensifie, au risque de déplacer vers les profondeurs les dilemmes non résolus de notre dépendance aux ressources naturelles.
Thomas Bonnamy, pour SPECTIO
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