Conférence de l'ONU sur l’océan à Nice : la France à la croisée des chemins
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EUROPE
Thomas dos Remedios
5/16/20256 min temps de lecture


UNE CONFÉRENCE STRATÉGIQUE DANS UN CONTEXTE MONDIAL SOUS TENSION
À un mois de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC), qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin 2025, la France affiche un agenda environnemental ambitieux, mais peine à clarifier ses intentions. Entre positionnements diplomatiques incertains, attentes scientifiques élevées et pressions des ONG, cet événement international s’annonce comme un test de crédibilité pour la politique maritime française.
La Conférence de Nice intervient dans un moment charnière pour la gouvernance environnementale mondiale. Avec la COP30 prévue en novembre à Belém (Brésil), l’UNOC de juin est l’un des deux grands rendez-vous diplomatiques sur les enjeux écologiques de 2025. Dix ans après l’Accord de Paris sur le climat, elle pourrait être l’occasion pour la France de réaffirmer son rôle moteur dans la lutte contre le dérèglement climatique et la destruction des écosystèmes marins. Pourtant, à ce jour, les contours précis de l’événement restent flous. À peine plus d’un mois avant l’ouverture, les diplomates eux-mêmes reconnaissent l’incertitude. « Nous avançons sur du sable », confie l’un d’eux. Le nombre de chefs d’État présents n’est pas confirmé, et les objectifs de la déclaration finale ne sont pas arrêtés. L’exécutif semble hésiter entre une grande déclaration politique à forte portée symbolique – pour répondre notamment au retour de Donald Trump à la présidence américaine – et un sommet plus modeste, centré sur quelques avancées techniques concernant la pollution plastique ou la pêche illégale.
Le contexte géopolitique, particulièrement nerveux avec la montée des tensions internationales, complique la lisibilité des ambitions françaises. La guerre en Ukraine, les recompositions des alliances, le désengagement partiel des États-Unis sur les questions environnementales – autant de facteurs qui rendent la diplomatie multilatérale plus complexe que jamais. C’est pourtant dans ce climat instable que la France doit prouver qu’elle peut tenir son rang.
AIRES MARINE PROTÉGÉES : UN ÉCART PRÉOCCUPANT ENTRE DISCOURS ET RÉALITÉ
L’un des grands axes attendus de l’intervention d’Emmanuel Macron à Nice devrait porter sur les aires marines protégées. En 2019, la France s’était engagée à protéger 30 % de ses eaux maritimes, dont 10 % sous un statut de protection forte. Officiellement, cet objectif a été atteint. En 2022, 564 aires marines protégées (AMP) couvraient un peu plus de 30 % du domaine maritime français. Mais cette statistique est trompeuse. Une étude publiée en 2021 dans Marine Policy par une équipe de chercheurs dont Joachim Claudet (CNRS) montre que seulement 1,6 % du domaine maritime français bénéficie réellement d’un niveau de protection élevé, compatible avec les standards de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En Méditerranée, ce chiffre tombe à… 0,1 %. Autrement dit, la grande majorité des AMP françaises restent ouvertes à des pratiques industrielles destructrices, notamment le chalutage de fond.
Face à ce constat, huit organisations environnementales – dont Bloom et la Fondation Tara Océan – ont publié une lettre ouverte au président Macron. Leur demande est claire : interdire les techniques de pêche les plus néfastes dans les AMP et faire passer le taux de protection forte à au moins 10 % du territoire maritime, en cohérence avec les normes internationales. Elles dénoncent le « fossé entre la rhétorique et l’action » du gouvernement. Au Parlement, la pression monte également. Le député Jimmy Pahun (MoDem) a déposé une proposition de loi visant à aligner la définition française des AMP avec celle de l’UICN et à encadrer plus strictement le chalutage. Une initiative saluée par les scientifiques. D’autres élus, comme la sénatrice écologiste Mathilde Ollivier, comptent pousser dans le même sens. L’enjeu est double : protéger les écosystèmes, mais aussi garantir aux pêcheurs une exploitation durable, fondée sur des ressources reconstituées dans des zones sanctuarisées.
LES GRANDS FONDS MARINS, THÉÂTRE D'UNE BATAILLE DIPLOMATIQUE MONDIALE
Au-delà des zones côtières, un autre sujet hautement sensible pourrait cristalliser les tensions à Nice : l’exploitation des grands fonds marins. Depuis plusieurs années, des pays comme la Chine, la Norvège, le Royaume-Uni ou encore le Mexique militent pour autoriser l’extraction minière dans les abysses, riches en nodules polymétalliques essentiels à la transition énergétique (lithium, cobalt, nickel, manganèse…). La France, à l’inverse, milite pour un moratoire. Emmanuel Macron l’a affirmé à la COP27 en 2022 et l’a répété lors de sa tournée dans le Pacifique en juillet 2023 : il souhaite interdire l’exploitation industrielle des grands fonds tant qu’aucune étude d’impact sérieuse n’a été menée et qu’aucune réglementation claire n’a été adoptée. Cette position a été relayée par Hervé Berville, secrétaire d’État à la mer, lors de la dernière réunion de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), en juillet 2023 à Kingston (Jamaïque).
Or, cette réunion s’est soldée par un blocage. Poussée par la Chine, l’assemblée générale n’a même pas accepté d’inscrire le débat sur l’exploitation minière à son ordre du jour. Une décision dénoncée comme antidémocratique par plusieurs ONG. Malgré tout, une coalition favorable à une « pause de précaution » s’élargit peu à peu. Vingt-deux États – dont le Canada, le Brésil, le Portugal ou encore Monaco – ont rejoint l’appel à un moratoire. Mais ce n’est pas encore suffisant : il faut l’accord des deux tiers des 168 membres de l’AIFM pour qu’une décision formelle soit adoptée. Dans ce bras de fer, la France espère que l’UNOC servira de catalyseur. Macron souhaite obtenir une position commune d’ici à juin, en espérant rallier un maximum de pays à sa cause. Mais le temps presse, et les industriels – comme Global Sea Mineral Resources (Belgique) – sont déjà prêts à lancer leurs premières campagnes d’exploration.
LA SCIENCE EN PREMIÈRE LIGNE : ENTRE ESPOIR ET SCEPTICISME
La réussite de l’UNOC dépendra en grande partie de la place donnée à la science. Face à une montée des discours anti-scientifiques, notamment aux États-Unis, Emmanuel Macron a réaffirmé fin mars, lors du sommet SOS Océan, sa volonté de fonder l’action publique sur des preuves scientifiques solides. « Beaucoup de grandes puissances stoppent leur financement des organismes de recherche publique et contestent la véracité des résultats établis scientifiquement. À Nice, nous saurons rappeler notre attachement au travail scientifique », déclarait-il. Cette promesse sera mise à l’épreuve du 4 au 6 juin, à l’occasion du One Ocean Science Congress organisé en amont de la conférence. Deux mille chercheurs venus du monde entier y participeront. Leur objectif est de produire une déclaration scientifique commune, transmise aux délégations officielles, afin de peser sur les décisions politiques. « Nous espérons que la science sera entendue », affirme Jean-Pierre Gattuso, vice-président du congrès.
Mais les scientifiques restent prudents. « Il ne suffit pas d’écouter la science, il faut aussi l’appliquer », rappelle le climatologue Jean Jouzel. Pour lui, l’UNOC pourrait être un moment décisif pour relier les avancées scientifiques à une action politique concrète. Encore faut-il que la France clarifie son cap et ose prendre des positions fortes sur des sujets encore très clivants, comme le chalutage, la pollution plastique ou l’exploitation minière.
NICE, L'HEURE DE VÉRITÉ POUR LA DIPLOMATIE BLEUE FRANÇAISE
L’UNOC de juin 2025 sera bien plus qu’un simple sommet environnemental. Dans un monde en mutation, où les océans deviennent un champ de bataille géopolitique, économique et climatique, la conférence représente une occasion unique pour la France d’affirmer un leadership cohérent, ambitieux et fondé sur la science. Mais pour cela, Emmanuel Macron devra transformer les intentions en actes, et sortir de l’ambiguïté. À Nice, les regards se tourneront vers la France. Sera-t-elle capable de combler le fossé entre ses discours internationaux et ses réalités nationales ? Réussira-t-elle à entraîner d’autres nations vers une gouvernance plus responsable des océans ? Ou laissera-t-elle passer une occasion historique de défendre une vision exigeante, mais indispensable, de la protection des mers ?
Thomas dos Remedios, pour SPECTIO
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